Librairie des Anges - Rencontre entre deux chapitres

La même. Encore la même. Toujours la même. Elle revenait sans cesse. Tel un cercle vicieux, tel l'Ouroboros des alchimistes elle revenait. Cette marche d'escalier accolée à ses soeurs, revenait et semblait narguer Abel Fox dans leur similitude vulgaire. Mais il n'y fit même pas attention, il les gravissait dans une belle foulée, quelque chose de frais, quelque chose de sain voire d'athlétique. Enfin après tout il n'habitait qu'au troisième étage. Pas la peine d'en faire un fromage. L'ascenseur était en panne? Non non, le jeune homme avait juste pris l'habitude de faire fonctionner ses jambes le plus longtemps possible. Il n'était pas feignant et plutôt sportif. Pas du genre à suivre des cours intensifs, même si c'était l'option secondaire qu'il avait choisi à l'université. Le français arriva bientôt à son palier, son casque de moto dans une main, son sac dans l'autre. Il fouilla dans ce dernier pour trouver ses clés et lorsque ce fut fait il ouvrit la porte de son appartement.

Il fut étonné de ne pas voir Yang, son chat, venir lui faire la fête. Cela ne pouvait signifier que deux choses: soit parce qu'il dormait, soit parce qu'il avait fait une bêtise et qu'il se cachait. Cela n'enchantait pas Abel. Il se souvenait encore du pot de farine que le petit monstre avait renversé et éparpillé dans tout l'habitation, ou encore des griffures sur le canapé. Il entra donc à petits pas, redoutant à chaque seconde de trouver ici ou là les traces de son forfait. Il balaya la pièce principale d'un regard, jugea que tout paraissait en ordre et referma la porte. Il accrocha son manteau, retira son bonnet et posa son casque son sac et ses clés successivement sur la table basse devant l'entrée, par terre et encore sur la table. Il se mit à la recherche de son colocataire et le trouva bien vite, pelotonné dans le plaid du canapé, entre deux coussins. Un large sourire s'étira sur les lèvres du français qui doucement alla s'asseoir près de lui. La créature bougea, ronronna et se laissa attraper. Abel le posa sur ses genoux, lui fit un câlin et lui donna même un bisou. Il fallait voir comment il pouvait devenir gâteux et gâteau avec ce petit chat. Une vraie mémère à son chachat. Abel passa un petit moment à le titiller, à le caresser et à jouer avec Yang qui c'était finalement décidé à se réveiller.

Puis, il regarda l'heure sur sa grande horloge. Il était encore tôt, l'après-midi venait à peine de débuter. Il entendit son ventre réclamer à manger et fit une véritable riazza (une de plus) dans son frigo et ses placards. Il fila à Yang sa nourriture pour bébé félins. Il avait fini les cours pour la journée. Il devait bosser un peu ses cours, mais il le ferait le soir-même. Abel avait un dossier à rendre sur les enzymes. Il l'avait bien avancé mais devait absolument le boucler. Un petit sourire s'arrangea sur son visage tandis qu'il finissait la vaisselle et se dit qu'il avait largement le temps de s'y remettre. Surtout que lorsqu'il avisa l'une des bibliothèques qui peuplaient chaque recoin de son appartement il oublia ce fichu dossier. Comme hypnotisé, comme happé par un murmure irrésistible, il s'avança vers l'étagère et resta un moment devant, comme une victime figée devant Méduse. Secouant la tête il parcourut des yeux et des doigts quelques rayons, sans trouver ce qu'il cherchait. Mais que cherchait-il? Un bouquin qu'il n'avait pas encore lu? Il se dit que ce n'était pas là qu'il le trouverait. Il avait lu tous les livres de son appartement. Il fit la moue, observa un instant Yang jouer avec une souris en plastique, sourit, puis décida de sortir chercher quelque chose à lire.

Il remit son manteau, prit ses clés et son portefeuille et claqua la porte. Il fila dans les escaliers, failli se fendre le corps en ratant une marche, arriva à bon port au rez-de-chaussée, dit bonjour à son concierge et atterrit dans la rue. Il se mit à la recherche d'une librairie. Alors il tourna un petit moment, croisant les chemins, tournant à des angles, traversant quelques passages pour piétons avant enfin de la trouver. La libraire des Anges. C'était son nom. Il sourit. C'était un joli nom. Il poussa la porte et une petite clochette annonça son entrée. L'atmosphère était quelque confinée, c'était tout ce qu'il aimait. Ici, ça sentait le livre, la vieille reliure authentique, le livre ancien. Une agréable sensation grimpa en lui et sur son visage s'installa un sourire. Abel resta planté devant la porte un petit instant, ne sachant pas par quel rayon commencer. La gérante sans aucun doute s'approcha alors de lui.

« Bonjour Monsieur … que puis-je pour vous? »
« Oh heu, bonjour! Eh bien en fait j'aimerais bien que l'on me conseille un livre. Oui je sais, il n'y a que ça ici et ma requête est vaste. Mais je suis sûr que vous avez ce que je chercher. » dit-il avec aplomb, son sourire le plus charmeur face à la patronne. Celle-ci le toisa quelques instants, puis semblant décider qu'il pourrait acheter quelques feuilles appela une employée. Il vit une tignasse rousse portant des lunettes se tourner vers eux. Abel lui adressa un petit signe de la main et s'avança vers elle.

« Hum, salut. Voilà je cherche un livre que je n'ai jamais lu! » Il la laissa avec cette demande et continua de lui sourire.

Abel ce grand bêta. Il se riait de la vie et des situations avec cette désinvolture qui chez un autre serait passée pour de la vulgaire impertinence mais qui chez lui se muait en un véritable art de vivre dont on ne pouvait décemment le blâmer. Il était toujours là à prêter un sourire ici en voyant un oiseau s'envoler après avoir picoré du pain dans un parc, là en voyant quelqu'un se prendre un poteau, ou encore à apprécier un coucher de soleil sur la plage. Ses sourires avaient la particularités d'être sincères. Autant dire que s'il n'allait pas bien ou s'il était dans un état négatif cela se voyait directement. Abel ne pouvait pas cacher ses sentiments très longtemps. On lisait sur son visage comme on lit un lit. C'était simple, mais il ne savait pas mentir là-dessus. Il était très expressif, lui disait-on. Dès que quelque chose lui plaisait il fallait qu'il le montre. Au contraire si un fait ne lui revenait pas cela s'entendait également. Mais il essayait chaque jour d'améliorer cette extraversion. Ce trop plein d'énergie, ce trop plein de spontanéité. Cependant on disait bien « chassez le naturel, il revient au galop. » Comme quoi on avait beau se forcer. Au moins il tentait d'atténuer ce côté de son caractère. Ce n'était pas une partie gagnée d'avance. Là il souriait en devinant l'embarras de la jeune femme devant lui.

Elle était plus petite que lui. Enfin il était difficile d'égaler le mètre quatre-vingt trois que faisait le colosse. Ceci dit il avait bien tendance à l'oublier. Mais ses amis et surtout Chloé étaient là pour le lui rappeler. Une tape derrière la tête, un talon écrasé sur les pieds, la belle asiatique avait trouvé moult moyens pour se faire remarquer, pour le faire taire. Cela l'avait toujours fait beaucoup rire et parfois plus elle prenait la mouche plus il riait. Bref, il la dépassait d'une bonne tête et demi ce qui n'était pas peu dire. Lorsque sa patronne l'avait interpellé il n'avait pu s'empêcher de remarquer le tressaillement, la surprise qui la fit sursauter en entendant son nom. Abel ce dit qu'elle était tout le contraire de lui. Que cela l'intriguait. Que cela lui donnait envie de la secouer de l'emmener boire un verre. Mais il calma net ses pulsions extraverties et assimila la situation assez vite. Elle était très mignonne, la pâleur de sa peau faisait ressortir ses beaux yeux et sa chevelure orangée. Cela fit revenir à lui la pensée de ses oranges confites. Abel appréciait par-dessus tout ces friandises. Et elles avaient la même couleur que les cheveux de la jeune femme. Cela lui tira un plus grand sourire tandis qu'elle semblait se démener avec une évidente timidité et un carton malicieux à ses pieds. Elle semblait chercher, essayer de regarder ailleurs. Avait-elle comprit sa question? La réponse fut oui lorsqu'il la vit prendre un bouquin et le lui présenter des deux mains. Ce geste était très mignon et cela toucha Abel.

Apparemment c'était une histoire d'amour sombre, à la Roméo et Juliette. Hum … ce n'était pas vraiment ce qu'il cherchait, mais la situation n'était plus la même qu'à son entrée. Il était venu chercher un bouquin mais était tombé sur cette fille. Si … timide. Alors peut-être qu'elle pourrait l'aider à trouver un livre, mais que lui pourrait l'aider à trouver une voie. Il remarqua l'effort que cela lui coûta de lui adresser la parole et prit alors le temps, se donnant un air de réflexion. Il reposa ensuite les yeux dans les siens.

« Huumm …. Moui. Qu'est-ce que te plais dans ce bouquin? » Tu aurais autre chose à me proposer? Quelque chose qui sorte un peu plus de l'ordinaire? Fais-moi voyager. Je suis sûr que tu à mille chose à me faire voir. A me faire découvrir. » Il lui lança un clin d'oeil en finissant sa phrase pleine de questions.

« Cela fait longtemps que tu travailles ici? » Abel l'avait machinalement tutoyé, comment elle l'avait fait. C'était venu assez naturellement d'ailleurs.

Elle disparut. Enfin. Elle sembla totalement paniquée, perdue ou il ne savait quoi d'autre mais toujours est-il que la libraire se mi à détaler, slalomant avec une fluidité qu'il ne pouvait lui connaître, entre les rayons et les tables pour enfin claquer une porte situé à quelques mètres de là où il se trouvait. Pantois, bouché béé. Les yeux fixés sur cette porte fermés. Il ne comprenait rien. Abel avait bien vu qu'elle était malaise et peut-être que pour une fois il aurait du y aller molo. Faire preuve d'un peu plus de sobriété dans sa conduite et ne pas jouer les fanfarons. Il se demanda s'il lui avait fait peur. Sans doute puisque la jeune femme avait carrément pris ses jambes à son cou. Il avait eu le rouge lui monter au visage, ses yeux s'écarquillant pour aller de droite à gauche avec une rapidité à donner le tournis. Abel faisait-il peur? Pourtant il avait souri. Il avait été poli. Il n'avait pas été agressif. Il n'avait pas été méchant. Il avait vu la timidité peint sur son être. C'était éclatant d'évidence. Il fallait dire qu'à côté du colosse extraverti cela pouvait choquer. En commençant à lui parler, il avait remarqué que cela la mettait mal à l'aise. Je jeune homme cligna des paupières comme victime d'une hallucination. Mais rien n'y fit, la jeune femme n'était pas là.

Ce fut à son tour de tourner la tête à droite et à gauche, pour chercher un soutien miracle à cette situation bizarre. Son regard tomba sur celui de la gérante du lieu qui l'observer. Abel hésita puis lui adressa un sourire mi-figue mi-pamplemousse. Il ne savait pas ce qu'il avait fait et ne pouvait pas être tenu responsable de quoi que se soit. Il ouvrit la bouche mais rien ne sortit. La dame lui adressa un froncement de sourcil, puis un sourire. Elle hocha la tête. Comme pour dire oui. Ou plutôt comme pour dire regarder derrière vous. Il fronça à son tour les sourcils levant à peine les mains en signe d'incompréhension puis lorsque refit le même signe de la tête. Abel comprit pourquoi tandis qu'il suivait l'endroit indiqué par le signe de la gérante. La jeune libraire était de retour. Un mince soupir de soulagement se fit entendre de sa bouche. Il relâcha la petite tension sur ses épaules et accueillit ce retour avec le sourire. Il leva les mains et attendit qu'elle revienne vers lui. Elle lui parla même, prétextant une excuse qu'il crut à merveille. La naïveté du français n'était plus à prouver. Il hocha la tête, remarquant que le rouge n'avait pas disparu des joues de la jeune femme. Quoi? Elle n'avait pas encore réussi à calmer sa timidité? Il fallait que quelqu'un se charge de cette âme. De lui apprendre à vaincre cela. Sinon à chaque client il faudrait qu'elle aille se cacher.

Elle lui parla ensuite du livre qu'elle tenait dans les mains. Liberté et beauté. Hum cela pouvait être intéressant. Une histoire se déroulant sur la banquise. L'art de la description devait être maîtrisé pour pouvoir sublimer cet espace d'une blancheur incarnée. Il était curieux de savoir comment l'auteur c'était débrouillé pour en parler, pour mener son histoire. Et il ne semblait ne l'avoir jamais lu, ni entendu parlé. Cela pouvait donc être une bonne occasion de parfaire sa connaissance littéraire.

« Oh d'accord. Ca me paraît super intéressant. La banquise, quel endroit original pour y construire une histoire. Je crois alors que je vais le prendre. »

Abel Tendit la main pour pouvoir prendre le livre. Soudain il eu une idée.

« Hum … ca te dirait de sortir après le travail? Enfin hum … heu je suis pas entrain de te draguer hein... enfin non pas que tu sois moche. Oula non! Pas du tout, même au contraire mais heu … Je m'enfonce! » lança t-il en faisant pleins de gestes. Il secoua les mains, les leva au ciel, se permit de faire la grimace, se gratta l'arrière du crâne et sourit bêtement. Il avait le chic pour s'embourber dans des explications saugrenues. Abel avait deux facettes: celle méticuleuse et celle maladroite. La deuxième gagnait la manche haut la main. Il voulu juste la sortir de là, l'emmener visiter des coins, lui faire boire un bon chocolat chaud. Instantanément il l'a vit comme une princesse qu'on aurait gardé dans une tour loin du monde. Et que maintenant libérée elle refusait le contact avec l'homme. Abel se devait de la réconcilier avec ce monde.

« Non! Non! Ne t'enfuis pas encore s'il te plait! Je ne suis pas un fou sorti d'un asile, non, non je veux juste que …. enfin j'aimerais t'offrir un verre, un chocolat, un café, enfin ce que tu voudras. » dit-il avec un peu plus de calme. Il se mordit la lèvre inférieure en attendant sa réaction.

Abel cligna des yeux. Elle venait d’accepter son invitation. Elle si réservée, elle si timide. La jolie rousse répondit par l’affirmatif. D’un coup d’un seul, comme il en avait *le secret, son esprit vogua vers un lieu où l’imaginaire règne en maître absolu. Sa chevelure rouge lui fit l’effet d’un torrent de lave qui s’écoulait sur sa peau laiteuse, comme si la lave rencontrait une rivière de lait. L’exemple tira un sourire qu’il n’essaya pas de cacher tout simplement parce qu’il était perdu dans ses pensées, à trouver la meilleure comparaison possible. Elle ce volcan si peu éruptif, mais qui réservait à qui savait le voir de belles surprises. Ce rouge lui allait bien au teint. Contraste, paradoxe et pourtant cela ne choquait pas. Au contraire. Abel appréciait ce beau mélange. Et puis le rouge revenait en touches plus ou moins marquées sur son visage et plus précisément ses joues où dès lors qu’il s’adressait à elles se mettaient en éruption. Il sourit encore un peu plus puis un geste sur le côté le fit revenir et prendre pied dans la réalité. La princesse volcanique lui demanda si 19h n’était pas trop tard.

Il eut envie de rire mais se retint. Abel n’était jamais fatigué. Il avait besoin de très peu d’heures de sommeil pour être en forme. Bon sauf les périodes de travail intense. Le jeune homme, au grand damn de ses proches, était une vrai pile électrique aussi bien de jour que de nuit. Ses amis auraient bien voulu que parfois il se mette en mode OFF ou au calme. Mais il ne pouvait pas. Inconsciemment son enfance renfermée, introvertie, trouvait là un moyen d’être oubliée, d’être remis à sa place, dans un passé révolu. Abel bougeait toujours, il restait très rarement sans rien faire. Il était toujours partant pour sortir et s’amuser surtout. Que cela soit une balade dans un parc, une soirée chez un pote ou une virée en boîte : tout lui faisait l’effet d’un booster. Il n’était pas du genre flemmard et une journée bien remplie était pour lui une journée où il ne s’ennuyait pas. Certes ses activités pouvaient passer de la plus calme comme la lecture ou à la plus physique par la pratique du sport. Alors il était certain que l’heure à laquelle finissait Emma n’était pas du tout un problème pour lui.

« Oh non ! 19 heures c’est parfait pour moi ! Et puis si ça t’inquiète je pourrais toujours te raccompagner chez toi pour ne pas que tu rentres seule. » Le voilà le chevalier drapé dans la blancheur de sa courtoisie et parée des bijoux de la galanterie. Le voilà le Abel qu’on pouvait voir parfois. Il créait là un monde de chevaliers pour la princesse qui se tenait devant lui. Car il avait pris le partie de croire que la libraire n’était qu’au final une princesse depuis trop longtemps oubliée dans son donjon, et que maintenant libérée de ses chaînes elle ne savait plus aller à la rencontre de l’Homme, de son prochain. Il voulait être celui qui pourrait la réconcilier avec cela. Sa timidité et la parfaite extraversion du jeune homme allait très certainement faire des étincelles. Il protégerait sa princesse et lui montrerait que plus elle réapprendrait à faire confiance, plus elle se sentirait mieux.

« Je vais rentrer chez moi déposer le livre et ensuite je reviendrais à 19 heures tapantes t’attendre devant la librairie. »

Il lui prit le livre des mains et la salua. En arrivant à la caisse la gérante le remercia d’avoir parlé avec son assistante et lui fit un clin d’œil plein de malice. Abel fronça les sourcils, mais n’y vit rien de malsain. Rentrant rapidement chez lui, il passa les deux heures qui lui restait à passer quelques coups de fils et à ranger un peu son appartement avant de retourner attendre la princesse devant son château. Il se fit voir de la gérante puis se cala à la façade, un pied relevé, le regard sur l’enseigne en face.