Chapter I « I can run from it all, I can run ‘til I’m gone. »
«
Ce fils de p***, on va lui faire la peau. »
Nikolaï, un freluquet d’une trentaine d’année, l’air mesquin me fixe d’un regard noir alors que son homme de main s’approche indiscrètement de moi. Je le devine, ils ne me veulent pas que du bien.
«
Iannis, attrape-le ! »
Iannis, se jette à mes pieds. Ce grand baraqué digne d’une statue grecque batifole et d’un léger mouvement d’esquive, je suis hors de sa portée. Je prends mes jambes à mon cou. Pas besoin de jouer les superhéros, je sais comment cet affrontement se terminerait. «
Elvis, 19 ans, retrouvé assassiné dans un quartier malfamé de la capitale. ». On en oublierait presque la crise économique sur l’édito du
Moskovsky Komsomolets. J’analyse cet entrepôt miteux que nous aurions pu associer à ceux des films de mafioso et aperçois l’unique sortie. La grande porte métallique utilisée pour stationner les camions est restée entrouverte. Je file en poussant la montagne de muscle qui perd l’équilibre et s’écroule. Nikolaï lui fait signe de se relever, et les deux se mettent à ma chasse.
Je cours. Le plus rapidement possible. De toutes mes forces. L’adrénaline monte, mon cœur s’accélère et mes jambes ne répondent plus de rien. Elles sont devenues un organisme à part entière. Les pas de courses s’enchaînent comme si ma vie en dépendait, et je traverse la ruelle. Je heurte un container que je laisse volontairement s’écraser au sol pour ralentir mes assaillants, je saute au-dessus des poubelles entreposées et j’escalade habilement le grillage qui me séquestre. Après cinq insurmontables minutes de sprint, je discerne une
Volvo noire et m’enfourne dedans. Sans doute que si je n’avais pas triché, ils ne m’auraient pas poursuivis.
Sans indication, la conductrice allume le moteur et démarre en trombe. Je peux encore percevoir les deux guignols tenter de rattraper mon carrosse, en vain. Les deux premières minutes du voyage se sont écoulées dans le silence. Enfin, appelons ça le silence, mais j’essayais tant bien que mal de stabiliser mon souffle. Ma respiration est saccadée, mes poumons brûlent. Mon battement cardiaque est si élevé que je peux entendre son écho dans mes oreilles. J’essuie une goutte de sueur qui ruissèle sur mon front et attrape l’inhalateur qui se trouve dans la boîte à gants.
«
Encore une crise d’asthme ? », l’automobiliste rompt notre mutisme et je hoche positivement la tête en guise de réponse. «
C’étaient qui les deux-là ? –
Des… Collègues. » La jeune femme appuie brusquement sur la pédale de frein. Dans un premier temps, je pensais qu’elle était, encore une fois, froissée par mon attitude, avant de calculer le feu tricolore devant nous. Elle profite de cet arrêt momentané pour me fixer dubitativement. «
On peut savoir ce que t’as fait cette fois ? » demande-t-elle innocemment. Je me braque et l’envoie balader dans un russe catastrophique «
Merde, Sacha, occupe-toi de tes affaires. ». Sacha, c’est cette fille. Elle est brune aux yeux bleus, moscovite, élancée, de trois ans mon ainée. Nous habitons ensemble dans la capitale russe depuis maintenant un an et quatre mois. Elle est un peu trop curieuse, mais elle me plait. «
Une histoire d’argent, pas vrai ? ». Je ne lui réponds pas et reste silencieux jusqu’à la fin de notre périple. De toute façon, elle n’aurait rien voulu savoir.
Chapter II « Give me your hand and we’ll go somewhere »
«
Bébé, nous sommes riches. » J’avais pris mon air de cow-boy pour lui dire ça. Sacha, qui cuisinait, a relevé la tête en pouffant de rire. «
D’où tu sors, toi ? ». Je me rapprochais sensuellement de la brune pour l’entourer dans mes bras. «
Je t’ai dit, je suis un dieu du poker. ». Elle eut un mouvement de recul, pour se décoller de mon étreinte avant de me questionner d’un air inquiet «
Alors c’était ça, cet après-midi ? –
Ouais, mais j’ai remporté 50,000€. ». Dans une secousse de surprise, une assiette glissa de ses mains pour se briser à nos pieds. «
C’est pas grave, on pourra s’en acheter plein d’autres. –
50,000€ ?! Ne te fous pas de ma gueule, Erichsen. ». Pour prouver mes dires à la jeune fille, je sortais quelques-uns des billets de 200€ que j’avais remportés plus tôt dans la journée. «
Merde, comment t’as fait ? –
Je mens comme un arracheur de dent. –
Je veux bien te croire. Je n’arrive même pas à savoir si tu es sincère quand tu m’aimes. » Je l’embrassais dans le cou pour la rassurer «
Arrête de dire des conneries. » Elle rigola encore une fois, avant d’ajouter pour me charrier «
Love me tender, love me true. ». J’attrapais la casserole pour l’aider alors qu’elle déposait deux assiettes autour de notre petite table. «
On peut partir à Las Vegas, j’gagnerai encore plus là-bas ! ». Un silence. «
Et puis quoi encore. Tu as suffisamment risqué ta peau. En plus, je préfère Los Angeles. ». D’un air faussement boudeur, je soupirais, agacé «
Va pour L.A. ». Elle me regardait comme nous regardons un gamin de cinq ans qui rêve de devenir pompier et rétorqua calmement «
Pas la peine. Reprend tes études, c’est l’occasion rêvée. ». Je n’ai pas cherché à continuer la conversation. J’étais persuadé que mon investissement dans le jeu m’apporterait bien plus qu’un diplôme, quel qu’il soit. Nous avons diné, et la soirée a continué.
Chapter III « Tell me you are mine, I’ll be yours through all the years. »
Trois mois se sont écoulés avant que Nikolaï me mette la main dessus. Ce jour-là, je suis allé au Casino malgré l’interdiction qu’avait émise Sacha. Comme habituellement, j’ai joué au poker, et j’ai gagné. Et là fut mon erreur. Lorsque j’ai senti la main rugueuse de Nikolaï sur mon épaule, un frisson a parcouru l’intégralité de mon corps. Il s’est baissé pour me chuchoter quelques mots à l’oreille, à vous glacer le sang. «
Petit, fallait pas refaire surface. ». D’un claquement de doigt, deux de ses fidèles hommes de main s’étaient postés autour de moi, saisissant avec force mes bras.
«
Cette fois, on va te le faire payer. »
Les deux molosses m’ont soulevés et m’ont trainé malgré moi. «
On peut trouver un arrangement, Niko, je trouverai l’argent. –
Non. Ce n’est plus une question d’argent, petit. C’est plutôt.. Tu vois, l’honneur. » J’ai essayé de me débattre, mais plus je m’agitais et plus les deux chiens me chaviraient. «
Tu vas me tuer ? ». Il est resté sans voix quelques secondes, me dévisageant. Il avait ce regard glacial que les russes possédaient. Moi, j’avais hérité le mien de ma mère. Nous sommes arrivés à l’extérieur du casino et il a demandé à ses gardes du corps de me relâcher, avant d’ajouter d’un ton sec «
Bien pire que ça. ». Et puis, il a disparu derrière les portes ornées du bâtiment.
Je me suis éloigné aussi rapidement que j’ai pu, guettant mes arrières. J’ai attrapé mon téléphone et j’ai composé le numéro de Sacha. Pressant le pas vers la voiture, j’entendais les tonalités résonner dans mes oreilles. C’était long, d’attendre, accroché à son répondeur. «
Veuillez laisser un message après le BIP sonore. –biiip-. » Il ne manquait plus que ça, elle ne décrochait pas. «
Merde, Sach’, on a des ennuis. Prépare tes affaires, je passe te prendre dans une heure. Surtout, n’ouvre à personne. ». Qu’importe. Je me débrouillerai pour la retrouver. Sacha finissait son service à 16h, et à 16h22 elle serait arrivée à notre appartement. J’ai ouvert la portière, j’ai sauté dans la voiture et j’ai traversé la ville aussi vite que j’ai pu.
16h47. Lorsque je suis arrivé dans notre quartier, la rue était bloquée par une foule inquiète, deux camions de pompiers et trois voitures de police. J’ai poussé les passants qui me bouchaient la vue et je me suis frayer un chemin vers le premier rang. La fenêtre de l’immeuble crachait des flammes ; c’était un spectacle digne du journal de 20h. Je me faufilais entre deux barrières, mais un homme en combinaison me stoppa net.
«
Monsieur, vous ne pouvez pas passer. » J’étais complètement abasourdi, on me refusait l’entrée à mon immeuble. Ca n’était vraiment pas le moment, Sacha… Je relevais la tête vers le désastre et ça n’a fait qu’un tour dans ma tête. Je revoyais les souvenirs, et cette fenêtre. Cette fenêtre. «
Putain… C’est chez moi. » Le pompier me repoussa derrière les barrières et d’un ton sec il ajouta «
Monsieur, gardez votre calme. Nous devons tenter d’évacuer les victimes. » Et puis je l’ai regardé entrer dans la fournaise. J’ai jeté un coup d’oeil l’écran de mon portable et je n’avais toujours aucune nouvelle de mon amante. Les gens autour de moi chuchotaient. Ils parlaient d’une fuite de gaz. Fuite de gaz. Nikolaï. Sacha. J’ai reculé, calmement. Je me suis éloigné de la foule, j’ai regagné ma place dans le véhicule. J’ai attaché ma ceinture, j’ai regardé dans mon rétroviseur et j’ai démarré. La voiture a filé, et bientôt l’incendie n’était plus qu’un épais nuage de fumée au-dessus de la ville. J’ai roulé trente-deux minutes et je me suis arrêté. J’ai repensé à tout ça. Mon portable affichait inlassablement toujours la même chose. «
17h21. Pas de nouveau message. » Sacha. Peut-être avait-elle été prise dans les embouteillages. Peut-être que son portable n’avait plus de batterie. Peut-être s’était-elle sauvée sans m’attendre. Je suis entré dans l’aéroport, je me suis dirigé vers l’une des femmes derrière un comptoir et j’ai demandé un billet pour le premier vol vers Los Angeles.
Lorsque je me suis réveillé, j’étais aux États Unis. Je n’ai pas eu de nouvelles de Sacha.