essayage au magasin de seconde main.

Kayo est à la caserne et les filles sont parties, je ferme donc la porte à clé en sortant. Je descends les escaliers de l'immeuble et vais retrouver ma voiture, garée à quelques mètres de l'entrée. Aujourd'hui j'ai plutôt la flemme d'y aller à pied, surtout que Walmart n'est pas juste à côté. Je m'arrête trois rues plus loin devant l'appartement de Chloe et klaxonne pour qu'elle sache que je suis là. Je me regarde dans le rétroviseur central, essuie le maquillage qui a coulé et ressers ma queue de cheval. Je regarde par habitude mon portable, aucun nouveaux messages. Le contraire m'aurait étonné ; je me demande bien pourquoi j'ai pris un abonnement sms illimités alors que j'en n'envoie jamais. Ma foi. La portière passager s'ouvre, c'est Chloé. Je lui souris, enlève les papiers qui sont sur le siège et les dépose sur la banquette arrière.

« Tu vas bien ? J'espère que tu ne crains pas trop le froid, mon chauffage est en panne. Au besoin je dois avoir une paire de gants dans le vide-poche à côté de toi. »

Je mets le contact et démarre la voiture. On arrive au centre commercial une dizaine de minutes plus tard. J'enlève ma ceinture, attrape ma sacoche et sort du véhicule. Chloe pensait aller dans une boutique de seconde main, je n'ai encore jamais mis les pieds dans un magasin de ce genre, c'est l'occasion. On y arrive, après avoir descendue quelques escaliers. La devanture est plutôt sympa, un peu vintage, tout comme j'aime. On entre, je salue la vendeuse et commence à farfouiller dans les rayons. Je flashe sur une robe, beige en voile, doublée, avec des motifs particuliers mais pas laids. Je sors le cintre, le pose sur mon bras, attends d'avoir repérés un peu plus d'habits pour les essayer. Je m'avance un peu plus et aperçois une étagère rempli de breloques. Je les survole du regard, en attrape deux. Je les glisse autour du poignet, j'irais les payer plus tard. Je continue de marcher, et entre dans un rayon un peu gothique.

« Hé Chloe, viens voir là, y a des trucs pas mal pour le bal d'Halloween. Je pense je vais piocher quelques trucs pour ma tenue. D'ailleurs, t'y vas avec quelqu'un toi ? »

Elle me répondra certainement oui. Comme m'aurait répondu les trois quarts de l'université si j'avais daigné leur poser la question. Et qui y va toute seule ? Bibi. Pour changer. Il serait grand temps que je me socialise un peu, et que j'ose demander à un garçon de m'accompagner. Enfin, pour ce bal là, c'est un peu tard.

Je cherche encore, et trouve une jupe ample, longue, jolie. Ça peut toujours servir. Un pantalon en toile, et une ceinture en cuir pour aller avec. Je choisis deux trois hauts sympa.

« T'as trouvé des trucs Chloe ? Je vais essayer les habits qui me plaisent, je te montre ce que ça rend, tu me diras ce que tu en penses, enfin, si ça te dérange pas bien sur. »

En allant à la cabine, j'attrape un sautoir exposé sur une table, pour l'assortir avec la robe.

553 mots

Si les premières rencontres avec Lula avait, aux yeux de Chloé, été placées sous le signe de l'étrangeté, bien vite elle s'était habituée au mensonge, à enfouir dans ses souvenir la petite part d'elle qui connaissait Lula et avait, parfois, envie de lui révéler combien elle en savait long et que son avis n'avait pas changé. Ou de lui demander ce qu'elle avait fait de sa fille et si cela avait valu la peine, vraiment, de la mettre au monde pour l'abandonner. Puis de la frapper.

Non, cette partie d'elle, elle la dissimulait soigneusement sous une apparence amicale, qui, parfois, flirtait avec la vérité, parfois effleurait le mensonge. Elle la revoyait toujours avec un mélange de joie et d'appréhension... cette incertitude, Chloé la lisait sur trait, en cet instant, alors qu'elle rassemblait sa chevelure en une queue haute. Lula ne tarderait pas et ensemble elles iraient fureter dans un magasin de seconde main, l'un de ces endroits qu'adorait l'anglaise.

... Parce que la mode, tu vois...
La mode, et être à sa pointe?
Ca m'intéresse pas.
J'aime les couleurs, la bohème, les fleurs, le coton, le lin...
J'aime la différence. L'ancien. Le démodé.
Et puis devoir faire des retouches à la main.

Coup de Klaxon: elle se redresse, et ses jambes, dans sa longue jupe de velours rouge, s'empressent d'avaler les escaliers. Sur ses épaules, un trench sombre, posé sur un t-shirt clair et un gilet de laine: le froid, peu à peu, s'installait sur la ville et après des mis de chaleur, la moindre perte de quelques degré donnait des frissons aux étudiants. S'engouffrant dans la voiture, elle sourit à la blonde et la remercia, mais il ne faisait pas encore assez froid pour qu'elle ait besoin de gants.

Très vite, la voiture, très vite elle roule,elle nous entraine et nous voilà déjà devant le centre commercial: il me semble que Lula a quelques réserves, n'ayant jamais mis les pieds dans un magasin de seconde main, mais sans aucun doute l'expérience l'amusera: c'est un peu la chasse au trésor dans un lieu pareil, parmi les oripeaux les plus affreux l'on peut trouver de vraies perles. Passée la porte, je me précipite vers les tringles et me mets à farfouiller, lançant de temps à autres un regard à Lula qui semble se prendre au jeu assez vite.

Etrange, parfois...
Etrange comme je savais que l'expérience pourrait te plaire.
Etrange comme je n'en ai pas douté...
des années ont passé, pourtant, bien des années...
Depuis nos conversations à coeur ouvert.
A présent c'est mensonge et dissimulation.
Et pas que de moi, chérie, pas que de moi.
Toi aussi tu dissimules...
Mais chuuuut...
Chuut mon coeur.
Chuut ma tendre, ma pauvre, ma fragile.
Chuuuut... je garde ton secret et tu ignores le mien.

Ta voix m'interpelle et je te jette un coup d'oeil, avant de t'offrir mon plus beau surire, ensecouant la tête.

« Pas la peine, j'ai déjà confectionné mon costume. Mais hésite pas à essayer des trucs, je te donnerai mon avis. Et je peux t'aider à lacer tous les corsets que tu veux »

OH MON DIEU. OH MON DIEU. OH MON DIEU.Une robe en vichy bleu. Une coupe année 50-60. Juste un peu de dentelle superflue mais... un bijou. Aussi tôt vue, aussitôt retirée à son cintre. A essayer a-b-s-o-l-u-m-e-n-t avant que je ne me mette a baver.

« Ouaips, Abel m'a proposé d'y aller avec lui. Genre, tu vois, il rentre après des mois d'absence, avec son sourire et ses sucreries, et il veut que je pardonne sa disparition. Mais bon... On verra. ET toi? T'as quelqu'un avec qui y aller? »

Elle pose la question le regard toujours posé sur les vêtements qu'elle fait défiler à toute vitesse, s'attardant parfois sur l'une ou l'autre pièce. Un moment elle hésite devant une jupe fleurie, avant de la rejeter,pour mieux s'attarder sur un chemisier de soie, crème, orné d'une lavallière. Un peu plus cher que son budget habituel, mais, si jamais il lui allait... Elle le sélectionne, avant de choisir un pull léger, d'un bleu joyeux et de farfouiller parmi les chapeaux sans rien trouver.

« j'ai trouvé quelques trucs, oui... je te monter ça après, je veux voir ce que tu as sélectionné. »

Elle chipotait à présent dans les breloques diverses: médaillons, bracelets, colliers, à la recherche d'une bonne affaire, avant de s'en détourner et de revenir au rayon des vêtements. Un ourlet crème attira son attention et, écartant les lourds rideaux de vêtements, elle découvrit une robe extrêmement simple, claire et décorée uniquement de quelques galons, à la coupe un peu stricte, qu'elle prit, après quelques hésitations.

« Tu t'en sors, avec ton essayage, Lu'? »

Ses trouvailles au bras, elle s'approcha des deux cabines occupées, ne sachant dans laquelle s'était cachée la danoise.

« Je vais te trouver quelques trucs à essayer, tu ne peux pas refuser... Et ca sera drôle. »

Et aussitôt, elle part en guerre,en quête, en chasse aux trésors. Ici une jupe, là un chemiser, là une robe de nuit. Pas moches non, mais totalement incongrus au vu du style habituel de la jeune femme.

Chloe avait déjà commencé à confectionner son costume pour le bal d'Halloween. Auquel elle va avec Abel. J'en étais sûre, mais je suis contente pour elle, elle mérite d'avoir un cavalier. Ça me déprime à l'avance de savoir que j'y serais toute seule, mais je tiens quand même à y aller, j'ai l'espoir que Kayo viendra me rejoindre. Et puis, je préfère y aller que m'ennuyer toute seule chez moi pour une énième fois.

« Aah, les garçons, ils croient toujours qu'un sourire et c'est dans la poche. J'espère que ça s'arrangera, mais laisse-le mariner un peu ! Moi je n'y vais avec personne officiellement. Mais bon, ça ne m'étonne pas vraiment. »

Je ne devrais pas m'apitoyer sur mon sort comme ça, mais je n'en peux plus de passer ma vie seule. Je devrais me décoincer, être moins timide, mais c'est toujours plus facile à dire qu'à faire. Et puis, j'ai fait des efforts, du moins j'ai essayer, mais ils n'ont pas l'air d'avoir été remarqués.

« D'acc, et bien je vais essayer mes habits alors. »

Je rentre dans la cabine, tire les rideaux et commence à me déshabiller. J'enlève mon top, mon pantalon et mes chaussures. Et je m'assois par terre. Je me regarde droit dans les yeux dans le miroir en face de moi, et réfléchis, m'analyse. Je dois avoir un problème. Pourquoi je ne suis pas le type de blonde timide vers laquelle tout le monde accourt, parce que justement je suis une blonde timide et que les gens trouvent ça « so cute ». Mais non, moi je suis la blonde timide que personne approche. Je suis si repoussante ? J'ai l'air si méchante que personne ne viens me parler ? J'en n'ai pas l'impression pourtant, d'être laide et désagréable.

« Tu t'en sors, avec ton essayage, Lu'?
Oui oui ne t'en fais pas. Je mets le haut et c'est bon ! 
Je vais te trouver quelques trucs à essayer, tu ne peux pas refuser... Et ca sera drôle.
D'accord ! J'ai hâte de voir ça ! »

Et en plus je ment. Bravo Lula, bravo sur toute la ligne. Mais est-ce que j'ai vraiment le choix ? À chaque fois que j'ai dit la vérité, je m'en suis pris plein la face, alors maintenant j'en ai peu marre. Pour ne pas que ça fasse trop louche, je me relève rapidement, me dépêche de mettre la jupe que j'ai choisie, et d'enfiler un haut. J'ouvre prudemment les rideaux, et cherche Chloe du regard.

« Et voilà ! Qu'est-ce que tu en penses ? Si le haut ne va pas avec la jupe c'est normal, c'était juste pour ne pas avoir à faire des tas d'aller-retour. »

J'attends qu'elle me donne son avis, et tente d'apercevoir parmi les habits qu'elle a choisit, ceux qu'elle aurait pu choisir pour moi.

« Avec personne? Tu déconnes? Ils sont tous aveugles, le smecs, ici? »

Elle avait froncé les sourcils, tout en écoutant ne voyant pas comment la danoise avait pu ne pas se trouver un cavalier pour l'occasion, quand même elle en avait eu un. Un gay, mais tout de même... Enfin, gay... Ce n'était qu'un soupçon. Un gros soupçons, genre, immeuble de soupçon, mais rien n'était encore « officiel ». Mais sans doute n'était-ce pas nécessaire. Certains regards posés sur certaines fesses en disait aussi long que les mots.

Breeeef... Heureusement, il y a assez de poissons dans l'océan pour deux. Les mains chargées de mes trouvailles, j'approche de la cabine, et bientôt Lula apparait. Regard posé sur la jupe, j'évalue l'effet de celle-ci. Plutôt sympathique, et la matière semble confortable.

« J'aime assez... Avec un autre dessus, mais ouaips, la coupe te va bien. Tourne-toi un peu, que je voie mieux? »

Un silence de quelques secondes, pendant que la blonde la laisse contempler la jupe sous tous ses angles.

« A ta place, je la prendrais. Elle devrait plutôt bien aller avec certains de tes t-shirts, je crois. »

Tu es... Comme toujours: jolie.
Jeune. Pimpante. Fraiche.
Qui, dis-moi, qui devinerait ton secret?
Tu le défends si bien, si bien...
Et moi j'ai décidé de le garder.
A quoi bon le répandre? Qu'y gagner?
Rien.
Perdre, peut-être.
Et il y a trop de façons de perdre.

Tu es jolie et le sourire sur tes lèvres, cache tant et trop de choses... Peut-être, parfois, y a-t-il une faille? Quand? Et pour quoi?... Y songes-tu, parfois? A ton enfant? A elle que tu as abandonné? A ton passé? Blonde et peau de pêche, qui ne te donnerait le bon dieu en confession? Je te donnerais même le diable, tu sais, le diable et ses tourments. Mais juste lorsque je suis de mauvaise humeur.

« Tiens... Je veux te voir là dedans. »

Et là dedans c'est une jupe grise à la coupe un peu stricte, qu'éclaire un liseré framboise et de gros boutons et revers de couleur. Là dedans c'est aussi un chemisier fleuri, un foulard, une robe bigarrée. Et un chapeau, très année 30...

A mon tour, à présent, d'essayer... Le rideau d'une cabine se referme sur moi, alors que je me change, pour passer une tenue... Un peu étroite au niveau de la poitrine, hélas, mais malgré tout, je quitte la cabine pour attendre Lula et sa prochaine tenue.

« Pas terrible, de mon côté, mais bon... »

Chloe était étonnée qu'aucun garçon ne m'aie proposé de m'accompagner au bal. J'aimerais être aussi surprise qu'elle, mais bizarrement je ne le suis pas. Il faut croire que les mecs ne sont pas tels qu'on les pense : attirés uniquement par l'apparence et le sexe. J'ai peut-être l'apparence, mais peut-être qu'il faut plus, il faudrait que je sois... sociale.

La brune m'observe, et finis par me dire que la jupe me va bien. Ouf. Je me tourne pour qu'elle regarde le derrière aussi, puis Chloe me conseille de la prendre.

« Oui, je pense que je vais faire ça, elle me paraît bien aussi. Et puis elle est confo. »

La fille me tend alors une petite pile d'habits, ceux qu'elle a choisi pour moi. Je les attrape, fais attention ne n'en faire tomber aucun, et rentre à nouveau dans la cabine. Chloe se change dans celle d'à côté. Je regarde chaque habit qu'elle vient de me passer. Ils sont vraiment chouette, elle a du goût. La jupe grise est vraiment superbe, je l'essaie avec le chemisier fleuri. J'y assemble le foulard, je trouve que ça rend bien. Le chapeau, je verrais avec la robe. Quand je sors de la cabine, Chloe est déjà dehors.

« Mais si, ça te va super bien ! Le haut te sert peut-être un peu par contre, non ? »

Elle est vraiment jolie. Son teint de peau s'accorde parfaitement avec la couleur de sa tenue, et elle porte les vêtements à merveille. J'ai l'impression que tout pourrait lui aller. Je lui demande comment elle me trouve avec les habits qu'elle m'a dégoté, et retourne dans ma cabine.

« Bon, je vais essayer le reste. Il te reste des habits à tester toi ? »

Je me déshabille pour la troisième fois, et enfile la robe. Un peu trop large peut-être. C'est bête, la coupe est plutôt sympa. Je pose le chapeau sur ma tête, mais ça ne va pas, mes cheveux sont mal placés. Je l'enlève, ôte l'élastique qui tient ma queue de cheval, secoue ma chevelure, la brosse grossièrement avec mes doigts, et la rassemble sur le côté. Je repositionne le chapeau, là c'est mieux. Je sors à nouveau, et interroge mon amie du regard. J'attends qu'elle me donne son avis. Je la regarde dans les yeux, et je me demande si oui, ou non je dois rester. Rester à LA. Cela fait quelques semaines que l'idée me taraude, et je réfléchis encore. Je suis mal dans ma peau, je ne me sens pas bien ici. Je n'ai que deux amies, et encore, je ne les connais que depuis un an à peine. Je ne peux pas compter sur elles, enfin, je ne peux pas me reposer sur elles. J'ai besoin d'amis à qui je sais que je peux appeler jour et nuit, ils répondront toujours présent. Des amis qui me comprennent d'un simple regard. Des amis qui ne me jugent pas. Des amis pour qui je pourrais tout faire sans regret. Et ces amis, ils ne sont pas à LA. Ils sont bels et bien au Danemark. Je n'en ai pas beaucoup plus qu'ici, mais ce sont des « vrais ». Et puis, je verrais ma fille. Aussi souvent que je le désire. Tout les jours. Et puis, je reverrais Jorgen... mais qui sait comment vont se passer nos retrouvailles ?

J'hésite à en parler à Chloe, je ne sais pas comment elle réagira. Peut-être que je ferais mieux de partir sans rien dire à personne. Je ne saurais jamais leur réaction. Ça serait peut-être lâche, oui, mais est-ce que quelqu'un s'apercevrait que je suis partie ?