«I don't really believe that it's going to work and then I make sure it doens’t work.»
Clinique de Vinci, Paris, le 16 mai. Les hurlements résonnent dans une salle stérile d’accouchement, la femme est à bout de souffle. L’accomplissement de neuf mois de contraintes. Pas une goutte l’alcool, pas une cigarette à la pause-café. Juste des fraises, des nausées et des sauts d’humeurs qui accompagnent les journées. Tout ça, terminé. Plus qu’une douleur à en mourir, et tout redeviendra normal. Trois heures et quarante-deux minutes de travail pour enfin y voir un résultat. Le nouveau-né montre le bout de sa tête et après quelques débâcles, le cordon ombilical est incisé. Essoufflé par le chemin qu’il vient à peine de commencer, le nourrisson pousse son premier cri. Son corps froid, tout tremblotant, est affectueusement déposé contre la poitrine de sa génitrice en pleurs. La progéniture a été diagnostiquée sourd de naissance, loin d’être désirée, elle s’impose comme un fardeau à sa mère. Sa mère, une petite blonde de 24 ans à peine, toute droite sortie de l’enfance, qui ne comprend toujours pas ce qu’elle a fait pour mériter ça. Le médecin s’approche d’elle, le sourire ingénu. «
Vous lui avez donné un prénom ? ». Quelques secondes se sont écoulées dans le vacarme de la pièce avant que l’intéressée ne daigne répondre, absente. «
Eliott. ». La sage-femme récupère l’enfant pour le confier au service pédiatrie et saisi le brancard pour accompagner la procréatrice dans une chambre individuelle se reposer.
Je me suis toujours demandée comment j’avais pu en arriver là. Moi, mère d’un gosse alors que j’étais prédestinée à vivre dans la débauche. Je me voyais déjà, photographe de renom, alcoolique de mon succès, aux pieds des hommes. Je m’appelle Jules, mère d’un gosse, Eliott.
«Can’t you see it’s hard for me to say no but I want to say yes.»
Galerie d’art Blumann, Paris. «
Votre travail est spectaculaire. ». La jeune femme acquiesce d’un mouvement positif de la tête. Elle n’écoute même pas ce que le doyen de son université lui confesse, bien trop obnubilée par le professeur de littérature présent ce soir-là. Elle se contente de serrer des mains, de saluer par politesse. Jules, dernière année d’un Master en Photographie est totalement excitée par sa première exposition. A ce moment précis, la vie lui réussit particulièrement. Tout le gratin de bobos-artistes a été convié pour admirer les clichés signés J. Gainsbourg et en redemandent. C’est un triomphe. Glorieuse de son succès, elle s’approche de l’enseignant convoité, et confiante, elle lui adresse la parole pour la première fois. Ces deux-là étaient prédestinés à se rencontrer. Histoire d’amour digne d’un scénario hollywoodien. Elle, élève charmée, lui, professeur respecté. Leurs seuls contacts se résumaient à de simples regards aux croisements d’un couloir ou d’une cafétéria. Mais ce soir-là, c’était l’occasion de toute une vie. «
Bonsoir. », une voix suave, un trentenaire charmant : James, londonien d’origine a tout pour plaire. Dans son costume trois pièces spécialement revêtit pour l’occasion, il fait fondre le cœur de toutes les ménagères sur son passage. Jules à vingt-trois ans est encore inconsciente de ce qu’il va lui arriver. Ils ne pouvaient pas le deviner, ce bonsoir-là, c’était le début d’un grand foutoir.
Tout à commencer quinze ans plus tôt. Jules, héroïne des temps modernes n’a rien à envier de Bridget Jones. Son enfance, elle la maudit. A l’école primaire, la petite n’a pas un succès fou. Juive, timide, excentrique, un mélange caustique. A la veille des vacances de juillet, elle ne dit pas au revoir à ses camarades parce qu’elle sait qu’elle ne leur manquera pas. Les seuls instants où ils lui adressent la parole, c’est quand ils lui rabâchent des remarques antisémites ou pour copier le dernier devoir maison de mathématiques. Jules est seule et solitaire. Elle fait sa première rencontre avec un appareil photo au lycée. Et puis son premier amant. Une histoire à l’eau de rose, des sentiments à fleurs de peau, ça ne l’intéresse pas alors elle décide d’y mettre un terme. «
J’te quitte. ». Ca a claqué dans l’air.
Quelques mois plus tard, elle rentre dans la grande école dont elle a toujours rêvée. Cursus en Photographie, Jules est une élève prometteuse. Petit à petit, elle comprend que l’Amour, ça n’est pas fait pour elle. L’université, c’est l’occasion de tout recommencer à zéro. Alors elle change. Elle devient la fille extravertie, qu’on invite à toutes les soirées. Elle s'y découvre une nouvelle passion : drogue, alcool et les nuits sans lendemain. Ça commence avec un puis deux, puis trois, puis quatorze et ça continue. Elle ne rappelle plus ses conquêtes, et quand par malheur l’un d’eux s’attache, ça claque dans l’air. «
J’te quitte. ». C’est plus simple comme ça, et elle se sent aimée. Petite revanche contre la vie, fini la Jules collégienne qui se laissait marcher sur les pieds. C’est l’apogée de la grande gueule.
Mais voilà, nous sommes le 14 décembre 2007, galerie d’art Blumann à Paris, et son regard s’est posé sur le mauvais homme.
« You and me, we’re a waste and we’re going down the drain. »
Cette nuit-là, je suis rentrée chez moi accompagnée de James. Nous avons bu, nous avons discutés, et nous avons fini la nuit ensemble. Et puis je n’ai plus eu de nouvelles de lui, jusqu’au mois suivant.
«
Donne-moi ce test de grossesse, Marie. ». J’avais rejoint Marie dans les toilettes d’un centre commercial après être passée dans une pharmacie. Le rituel classique. J’ai passé les mains dans mes cheveux, je me suis rongé les ongles, anxieuse du résultat. Les trois minutes les plus longues de ma vie. Elle m’a regardé d’un air inquiet et désolé avant de me tendre le bâtonnet. «
Positif. ». J’ai vérifié à mon tour, le + bleue s’affichait définitivement sur l’écran digital du test. J’avais fait la pire connerie de ma vie, le soir du 14 décembre. Je me suis écroulée sur le sol poisseux des WC et j’ai fondu en larmes. Marie m’a prise dans ses bras, elle m’a réconforté, et j’ai dû téléphoner à James.
« --- James. --- Jules ? --- Je suis enceinte. --- »
J’ai raccroché, et trois jours plus tard nous nous sommes retrouvés près d’une clinique. Je me souviens parfaitement de la consultation. J’étais allongée, le docteur en face de moi, qui discutait avec James. Moi, les yeux gonflés de mes précédents pleurs, impuissante face à la situation.
«
Votre compagne est trop fragile. Envisager l’avortement causerait une stérilité certaine. »
Ca a fait le tour de ma tête, je me le suis répété plusieurs fois. J’ai demandé confirmation, persuadée que j’avais mal entendu, que ça n’était qu’une mauvaise blague. Je n’avais aucune intention de le garder. Mais on ne m’en a pas donné le choix. Neuf mois plus tard, Eliott est né.
Je me suis installé dans l’appartement de James. C’était bien plus spacieux pour nous que ma petite chambre d’étudiant. J’ai obtenu mon diplôme, j’ai fait aller ma vie. J’étais complètement épuisée, aussi bien moralement que physiquement. James est rentré du travail, il a entendu les cris du gamin. Il m’a regardé, médusé. «
Vas t’occuper d’Eliott, il chiale ! ». Je l’ai regardé, désabusé. «
Putain, j’en ai marre d’entendre ce gosse. ». Je me suis levée et je suis partie sans réfléchir, d'une trombe. J’ai dormi pendant trois jours chez Marie, et puis je suis revenue. Les psychologues ont dit que c’était une dépression nerveuse suite à mon accouchement. Le baby-blues.
« I just wanted you to know that I never wanted you to go. »
Je suis restée avec James trois autres années. Pour le bien d’Eliott, contrainte et forcée de lui offrir l’amour que mes parents ne m’avaient jamais offert. J’ai appris à l’aimer, bien plus que ce que j’aimais son père. J’ai remonté la pente, j’ai planché sur un nouveau projet photographique. J’ai rencontré une femme, Jessie, londonienne d’origine, et elle est devenue ma muse. Mon égérie. Un soir de shooting un peu trop alcoolisé, nous avons franchi le pas. Nous avons tenté l’aventure d’un soir, je l’ai baisée, et je n’ai rien regretté. J’ai compris que j’avais besoin de liberté
«
Tu l’as embrassée, cette femme ? ». Je n’ai pas répondu. Je pouvais sentir la colère et l’amertume dans sa voix. En trois ans, nous nous étions quitté quatre fois. Je l’ai trompé deux fois, il m’a trompé une fois, il s’est excusé et je l’ai encore trompé encore. Il n’y avait jamais fait très attention. Peut-être parce qu’auparavant, c’était des hommes. Jessie était une femme, et ça le rendait malade de jalousie. «
Je ne sais plus quoi faire avec toi, Jules. Je crois que.. Je veux faire une pause. ». J’ai révélé ma tête et je l’ai fixée abasourdie. En une seconde, il venait de décider de notre avenir, comme si le destin était entre ses mains. «
De toute façon, c’est moi qui part. – Pardon ? ». Il avait l’air étonné, comme s’il ne s’attendait pas à un retournement de situation. J’ai continuée, fière. «
J’ai postulé pour UCLA. Ils m’ont accepté. ». Je ne m’attendais pas à des applaudissements, ni à des félicitations. «
T’es sérieuse là ? – Il semblerait. ». J’avais ce ton froid habituel lorsque je parlais à James. Et ça l’agacait. C’était loin d’être le premier à se faire rembarrer d’une de ces histoires passionnelles tragiques et sans doute il y en aurait d’autres. Il n’a pas pu se résigner à accepter la situation et s’est approché de moi en haussant le ton. «
Tu ne peux pas partir comme ça ! C’est mon fils !» A l’écoute de cette phrase, j’ai soupiré bruyamment avant d’attraper la valise posée sur le lit. Je suis allée chercher Eliott, il a saisi son sac à dos et je l’ai porté. Sans ne dire mot, nous nous sommes dirigés vers la sortie, et couper court à la conversation d’un claquement de porte.